Honolulu berlue

Le groupe le plus célèbre d'Hawaï, désormais installé à L.A., revient ce printemps avec le sombre, désespéré et bien nommé "Black Black". Une manière de thérapie nous confie Troy Bruno Von Balthazar, chanteur et homme-orchestre.

On savait qu'il ne rendrait pas les armes aussi facilement le Troy. Surtout si on lui disait en guise de hors-d'oeuvre que le nouveau disque de son groupe nous paraissait plus lourd, plus grave que le précédent : "Vraiment. C'est bizarre parce que lorsque nous avons enregistré l'album je me sentais carrément mal parce que je trouvais que les sons étaient trop positifs. Et je me disais : "Oh non, cet album est trop positif". "Black Black" n'est pas un album déprimant pour moi. Non, c'est juste que j'aime les chansons mélancoliques, les trucs d'Otis Redding par exemple, les mélodies tristes. Ca me touche plus. C'est ce que fait Chokebore du reste depuis le début, des mélodies puissantes et tristes. Je crois qu'on a été plus loin avec cet album en essayant de composer vraiment des chansons parfaites, de beaux slows puissants." C'est que pour Chokebore, depuis ses débuts à Hawaï en 93, musique rime toujours avec engagement total et avec douleur. D'ailleurs, c'est probablement ce qui suscite l'attachement profond qu'on peut avoir pour ce groupe. "La plupart des paroles de cet album, je n'étais vraiment pas sûr de les conserver. Les gens doivent penser que j'ai besoin de voir un docteur. Mais c'est tellement une part de notre vie, pas notre vie entière, mais une bonne partie. Oui, absolument, mes paroles représentent basiquement ce que je vois. Ca fait du bien de les chanter. C'est beau et triste à la fois. C'est tout ce que nous sommes." affirme le chanteur sans ambages. Plus qu'un engagement, un véritable sacerdoce. Il poursuit : "Quand j'écris des chansons, je suis sûr de ne penser à rien, excepté à ce que j'ai dans la tête. Le plus important quand tu écris une chanson, c'est que tu dois être complètement toi. Donc j'essaie de ne penser à rien d'autre. Je relate ma vie. Et la vie de personne d'autre. D'habitude, pour composer j'aime être seul et essaie d'oublier les chansons que j'ai pu entendre, même celles de Chokebore." Si le groupe se trimbale cette dose de spleen, c'est aussi parce que les musiciens se considèrent, à L.A., comme déracinés : "Je crois que beaucoup de nos chansons sont inspirées par notre enfance. Quand on est jeune, on arrive parfaitement à symboliser. Et le symbolisme est très important pour la musique. Donc, oui je crois que je pense à Hawaï quand j'écris. A Los Angeles c'est différent, je ne me sens pas vraiment chez moi. Hawaï est toujours dans notre sang." Ainsi "Black Black" respire-t-il la sinistrose à chaque strophe, à chaque vers. Mais une sinistrose calme, sereine, élégante, presque positive : "A vrai dire je ne sais pas si je serais capable de faire de la musique pendant encore très longtemps. J'ai toujours l'impression que c'est la dernière tournée. Peut-être que c'est le dernier album. Je n'aime pas avoir cette impression, parce que j'aime vraiment ça. J'ai aussi peur de devenir fou. Je ne veux pas partir, c'est de la peur." Putain, Troy, tu n'es plus loin de Verlaine...

Yves Bongarçon
Rock Sound #59
juin 1998